BOURVIL PAR JEAN PIERRE MOCKY ..... 19
JANVIER 1999
Le hasard. C'est lui qui m'a fait lire « Deo
Gratias », Prix international du Premier Roman. Emballé,
je conclu bien vite que seul, Bourvil, pouvait incarner Georges Lachesnaye,
le héros mystique et farfelu du roman, grand bourgeois demeurant
place des Vosges, parlant un langage châtié, portant
manteau redingote et chapeau d'Eden gris souris, et pillant avec
astuce les troncs d'église. J'adressais le découpage
du film qui deviendra UN DROLE DE PAROISSIEN, boulevard Suchet, chez
Bourvil. Deux jours plus tard, Bourvil me téléphone.
Non seulement, il accepte le rôle, mais encore il le tournera
en en participation presque totale pour m'aider. En plus il rit à tous
les gags de ce rire complice, qui tout au long de nos huit ans de
collaboration jalonnera la préparation, le tournage et la
sortie des quatre films que nous avons fait ensemble : UN DROLE DE
PAROISSIEN, LA CITE DE L'INDICIBLE PEUR, LA GRANDE LESSIVE et L'ETALON.
Noble distingué et déchu ou voleur impénitent
dans UN DROLE DE PAROISSIEN, policier viking au regard bleu poursuivant
un assassin, et en découvrant tout un lot dans LA CITE DE
L'INDICIBLE PEUR, professeur de latin partant en guerre contre la
pollution télévisée dans LA GRANDE LESSIVE,
ou vétérinaire se penchant sur la solitude des femmes
fidèles et leurs vapeurs dans L'ETALON. Bourvil crée
des personnages originaux et vrais qui viennent ceux magnifiques
de LA TRAVERSEE DE PARIS et du CERCLE ROUGE où en fin son
prénom André, viendra sur les affiches précéder
son nom consacrant l'acteur et non plus le clown sans prénom
que l'on qualifiait volontiers de bébête. Je ne parlerais
pas de ses autres films. Je ne les aime pas. Peut-être ont-ils été de
grands succès d'argent ; alors, que ceux qui en ont gagné avec
les défendent devant la postérité.
Bourvil, je le connaissais mieux que quiconque car notre complicité était
désintéressée. Ce qui nous a réuni, c'est l'amour
de notre métier, tel qu'on le pratique en Italie et en Amérique,
et si peu en France : la création de personnages et d'histoires nouvelles
et non les sempiternelles redites. Combien de fois n'est-il pas venu me dire
qu'on tel ou tel autre lui déconseillait de travailler avec moi, et
combien de fois devant mon anxiété de le voir suivre ces avis,
il éclatait de ce rire sain et tonitruant qui le faisait aimer de tous.
Oui, Bourvil était aussi intelligent que le bel esprit du Tout-Paris,
aussi cultivé que beaucoup d'académiciens, aussi généreux
que les paysans normands sont réputés avares. Son éclectisme
a été total. Il a autant aimé jouer les opérettes
style « Ouah-Ouah » qui ravissaient son public, qu'il aurait adoré jouer
Sartre. Son rêve était aussi de tourner sous la direction des
plus grands réalisateurs internationaux dont il connaissait les films,
mais qui eux ne le connaissaient pas sous son vrai jour. Quel dommage ! Quelquefois,
quand un de mes films était fait de bric et de broc, il se révoltait
et ne comprenait pas. Alors, je lui rappelais certains films de Michel Simon
et de tant d'autres dont les sujets étaient tabous, et qui avaient et
tant de difficultés à se faire. Alors il se calmait et de nouveau
on riait. Ce jour de septembre où il est mort, j'ai été frappé comme
s'il avait été mon frère. Depuis, de nombreux sujets écrits
pour lui, dorment dans mes tiroirs.
Bourvil, c'était celui à qui tout le monde souriait dans la rue,
et à qui il souriait de même. Mais derrière cette bonhomie
il y avait une soif de vivre et d'apprendre (Comme il travaillait son anglais
! Comme il était curieux de tout !).
Bourvil, c'était le travail, la simplicité, la santé.
C'est cette dernière qui l'a emporté de l'autre côté,
du côté où sont maintenant Jouvet, Raimu, Fernandel, Simon,
Berry, Stroheim, Baur et tous ceux de cette race. Pour notre plus grand malheur.
Jean-Pierre
Mocky
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